Si
vous modifiez les caractéristiques techniques de votre
moteur, il est certain que, dans le cas où votre moteur est
équipé de carburateurs SU ou Zenith-Stromberg, le profil de
l’aiguille ne correspondra plus. En effet, toute
modification de l’admission, de l’échappement, de l’arbre à
cames, du taux de compression, de la culasse, modifie le
fonctionnement du moteur. Or, dans un moteur à carburateur,
c’est la dépression qui aspire le carburant, le carburateur
étant « passif » et ne faisant que délivrer le
carburant demandé par le moteur en fonction de la
dépression dans le collecteur d’admission. Qui plus est,
dans un carburateur SU ou ZS, le profil de l’aiguille
détermine la quantité de carburant injectée. Si l’aiguille
est inappropriée, des problèmes de fonctionnement dus à la
richesse mal adaptée vont survenir : sur-consommation,
encrassement du moteur, ratées, surchauffe, pertes de
puissance, voire rinçage des cylindres (mélange trop riche)
ou piston perçé (mélange trop pauvre).
De plus, le moteur est quasiment toujours réglé sur le
point de ralenti et souvent on pense le moteur bien réglé
sur toute la plage de fonctionnement en considérant qu’il
est réglé correctement sur le ralenti. Si jamais en
fonctionnement le moteur a des ratées, on enrichit le
ralenti alors que l’aiguille est inadaptée et le résultat
est, de fait, toujours médiocre. Dans ce qui suit, on
considèrera que tout le reste du moteur est en bon ordre de
marche (allumage, réglage du jeu aux soupapes, bon état
mécanique général) et qu’on procède moteur chaud (et
starter repoussé) pour les mesures de richesse ! Si en
revanche votre moteur est strictement d’origine, il faut
monter les aiguilles d’origine pour ce moteur et rien
d’autre !
Petit aparté sur les notions techniques dont il est
question : « richesse », « rapport
stoechiométrique », « AFR »...
Chimiquement, le rapport (en masse) d’air et de carburant
(qu’on nomme en anglais « AFR » pour Air-Fuel
Ratio) qui permet la combustion est assez précis : pour de
l’essence il est de 14,7, ce qui signifie que si on
s’écarte trop d’un mélange constitué de 14,7 fractions
d’air pour 1 fraction de carburant, le mélange ne
s’enflamme plus. Si le rapport est inférieur à 14,7 c’est
que la masse d’air a diminué donc on est riche (plus
d’essence en proportion) ; si le rapport est supérieur à
14,7 on est pauvre (plus d’air en proportion). La richesse
est le rapport réel divisé par le rapport stoechiométrique.
Cette valeur de richesse s’appelle « lambda »
(d’où le nom de la sonde qui mesure cette valeur) : si on
est à 13,5 sur un moteur à essence (donc riche), la
richesse est 0,92 (car 13,5 / 14,7 = 0,92). Par conséquent,
une richesse inférieure à 1 indique un mélange riche, une
richesse supérieure à 1 indique un mélange pauvre.
Si le mélange chimiquement parfait est à 1 pour un moteur à
essence, une richesse de 0,85 donne les meilleures
performances (plus grande vitesse de flamme) tandis que
1,15 donne le meilleur rendement (donc la consommation la
plus basse) à cause de la relative hétérogénéité du mélange
à 14,7.
Puissance (en bleu) et consommation (vert) en fonction de
la richesse
Malheureusement,
la seule manière classique de vérifier qu’un moteur est
« bien réglé » est de mesurer le taux de CO au
contrôle technique ou dans un garage : le taux de CO rejeté
est en effet directement lié à la richesse (c’est pour
cette raison qu’on agit sur la richesse quand un véhicule à
carburateur est hors norme en CO) et par conséquent la
mesure fournit aussi la richesse (elle est d’ailleurs
souvent recalculée par la machine), mais uniquement au
ralenti puisque c’est le seul point de contrôle possible en
atelier. Pour vérifier que le moteur fonctionne avec la
bonne richesse en toutes circonstances, il faut effectuer
cette même mesure véhicule roulant, c’est à dire soit sur
un banc à rouleaux avec un appareil de mesure standard,
soit véhicule roulant sur piste avec un matériel embarqué.
Ces deux méthodes sont hors de portée de l’amateur... Hors
de portée ? Plus tout à fait...
La technique, sous la pression des normes antipollution, a
fait d’énormes progrès. Ce qui était inconcevable il y a
vingt ans est maintenant à la portée de l’amateur. En
effet, les sondes de mesure instantanée de la richesse,
communément dénommées « sonde lambda »
(développée au début des années 70 par Volvo, sous la
responsabilité de Stephen Wallman - photo ci-dessus), sont
désormais universellement utilisées, puisque indispensables
au fonctionnement des pots catalytiques (qui ne fonctionne
bien qu’à richesse 1), rendus obligatoires par la
législation. Le premier type de sonde est dit
« binaire » puisqu’elle envoie le signal
« riche » ou « pauvre » sous forme de 0
ou 1 au calculateur, sans indiquer la valeur du rapport
air/carburant. On comprend bien que cette manière de donner
l’information est tout à fait insuffisante pour le problème
qui nous occupe. C’est pourtant bien ce chiffre qui nous
intéresse pour vérifier que le carburateur fonctionne
correctement. La seconde variante de sonde, plus récente et
développée pour mesurer le taux d’oxygène dans les
échappements des moteurs diesel modernes, est dite
« proportionnelle » et renvoie la valeur du
rapport air-carburant. Avec le bon traitement du signal
électrique, réalisé par un petit circuit électronique, il
devient possible de lire directement sur un afficheur la
valeur de richesse, en instantané.
Plusieurs types
d’appareils sont disponibles sur le marché. En voici
un qui fonctionne bien
(c’est celui
que j’ai testé). Le montage consiste à percer la ligne
d’échappement, à souder un bossage fileté pour pouvoir
visser la sonde dans l’échappement, puis à installer les
câbles et monter l’afficheur, alimenté par le 12 volts
du véhicule. Personnellement, je passe le câble de la
sonde par le soufflet de la boite de vitesses. Il faut
prendre garde à installer le bossage de la sonde sur la
ligne d’échappement de sorte que la sonde ait bien la
tête en bas (le fil plus haut que la partie qui rentre
dans l’échappement) pour éviter que la condensation (il
y a beaucoup d’eau dans les gaz d’échappement) ne stagne
dans la partie sensible et ne détruise à terme le
capteur.
Dès lors, il est
possible d’établir un diagnostic précis de la richesse en
fonctionnement. Me concernant, avec une aiguille KN,
j’étais trop riche au ralenti et trop pauvre dans tous les
autres cas de figure. S’ensuivaient les désagréments
suivants : moteur qui s’étouffe sous starter, à-coups au
démarrage, surchauffe en charge. On comprend bien que la
conception du carburateur SU ne permet, dans ce cas, aucun
réglage satisfaisant : si on remonte le gicleur on est OK
au ralenti mais beaucoup trop pauvre en fonctionnement ; si
on descend le gicleur on est beaucoup trop riche au
ralenti. Il n’y a plus qu’une solution : changer
l’aiguille. Deux alternatives : soit en trouver une qui
soit plus appropriée, soit concevoir un profil
personnalisé.
A ce stade, pour maitriser un tant soit peu le sujet et
éviter de tâtonner éternellement voire de détériorer le
carburateur, il faut creuser le sujet des aiguilles de SU.
L’ouvrage anglais The Su Carburettor High-performance
Manual de Des
Hammill traite en détails du fonctionnement des SU et
des modifications possibles pour en améliorer le
fonctionnement, notamment par le reprofilage
(« reprofiling » ou « repolishing »
en anglais) des aiguilles.
Il est
primordial de bien connaitre la géométrie des aiguilles
avant de les modifier : une aiguille de
SU est, macroscopiquement, un « cône » de bronze,
mais plus microscopiquement une aiguille dont le profil est
déterminé par une série de diamètres à des hauteurs
données. Il existe par ailleurs différentes longueurs
d’aiguilles, trois diamètres de gicleur (0.090 inch, 0.100
inch et 0.125 inch) et deux types de fixation de l’aiguille
dans le piston : fixe ou suspendu. On ne pourra donc
chercher une aiguille au profil plus approprié que dans la
même sous-famille (même longueur, même diamètre de gicleur,
même type de fixation). Il existe plusieurs logiciels
disponibles sur le net qui recensent toutes les aiguilles
de SU, classées par sous-familles, et permettent d’examiner
et de comparer leurs profils. En voici quelques-uns :
-
http://www.winsu.co.uk/
- http://homepage.mac.com/crscapps/CSA/Page1/Page1.html
- http://www.moke.com.au/Joomla/content/view/295/82/
Voici à titre d’exemple les dimensions des aiguilles KD et
ZH (exprimées en fraction de pouce); chaque
« station » étant séparée de la suivante de 0.125
inch (3,2 mm) :
On peut trouver
avec ces outils informatiques des aiguilles qui peuvent
répondre aux besoins du moteur. Mais il n’en reste pas
moins qu’il faut les tester après en avoir acheté un
certain nombre. On peut aussi choisir une autre méthode qui
consiste à se fabriquer ses propres aiguilles, mais en
sachant ce qu’on fait, c’est à dire en mesurant la richesse
instantanée.
Comparatif
des profils des aiguilles de B18B
Comparatif
des profils des aiguilles de B18D
Comparatif
des profils des aiguilles de B20
Pour se lancer dans le reprofilage des aiguilles, il faut
acquérir quelques données techniques et se procurer
quelques outils simples. Sur le sujet du reprofilage, tout
est affaire de métrologie. Or, pour mesurer ce qu’on a
entre les mains et savoir ce qu’on fait, il faut un outil
de mesure fiable et répétable. La précision de mesure
nécessaire est ici le centième de millimètre. Pour
atteindre ce niveau de précision, il faut se munir d’un
palmer (généralement non digital, même si cela commence à
apparaitre sur le marché) ou un pied à coulisse, de
préférence digital pour éviter les erreurs de lecture car
il va falloir effectuer des dizaines de mesures.
Ensuite, pour être précis, il faut mesurer l’aiguille
toujours aux mêmes altitudes. SU avait normé la description
de ses aiguilles en adoptant des altitudes espacées de
0.125 in (3,2 mm), en partant de l’épaulement supérieur
(voir figure plus haut). Pour se repérer sur l’aiguille, il
faut se fabriquer un carton plié en V et dessiner une
graduation d’un pas de 0.125 in au fond du V. Vous pouvez
aussi directement imprimer l’image ci-dessous après l’avoir
mise à l’échelle. Ainsi, l’aiguille placée sur le carton,
au fond du V, épaulement au bord du zéro, on peut situer
avec précision et répétabilité à quelle altitude on mesure
le diamètre de l’aiguille. On peut aussi se confectionner
un support en mousse pour tenir l’aiguille pendant la
mesure.
Ceci permet, par exemple, pour se faire la main, de relever le profil de l’aiguille existante, celle qui ne fonctionne pas sur le moteur. En comparant à la théorie fournie dans les tables, on peut en déduire l’usure et l’erreur à la fabrication. Personnellement, je préconise de reprofiler une aiguille neuve plutot qu’une aiguille notoirement usée, pour la raison suivante : une aiguille usée n’est plus « cylindrique », en ce sens qu’elle a usé préférentiellement d’un coté. Pour obtenir une aiguille qui ait une belle symétrie de révolution il faut absolument partir d’une aiguille neuve ou presque.
La
question qui vient ensuite est : à quelle altitude dois-je
corriger mon aiguille pour obtenir la bonne richesse au bon
instant ?
Sur la figure ci-dessus, on voit trois zones de haut en bas
: idle (ralenti), acceleration and cruising
(« accélération et conduite normale ») et top
speed (« vitesse maximum »). Une indication qui
peut être prise sur le moteur consiste à lever le piston
tout en haut pour mesurer sa course et reporter cette
course sur l’aiguille à partir de l’épaulement. Cela donne
le point sur l’aiguille qui se trouve en face du gicleur en
cas de levée maximum. C’est le point théorique de
fonctionnement de l’aiguille lorsque le moteur développe
son maximum de puissance.
L’altitude correspondant au ralenti sera choisie comme
point de référence. Le réglage final de richesse permettra
de régler finement la richesse au ralenti : ce réglage a
une latitude beaucoup plus faible que les altérations que
nous allons apporter à l’aiguille sur la richesse, ce qui
signifie qu’il ne faut pas trop se préoccuper de la
richesse au ralenti pour le moment.
Concrètement, si avec la mesure de richesse embarquée on
constate en conduite coulée qu’on est trop pauvre, il faut
intervenir sur les altitudes numéro 3 à 5. Si on constate
une richesse correcte en conduite calme mais un
appauvrissement en accélération, il faut intervenir sur les
points 6 à 8, et si on constate la même chose uniquement en
vitesse ou en charge maximum, il faut intervenir autour du
point de levée maximum. Il existe des astuces pour pouvoir
visualiser la levée du piston (en remplaçant par exemple
l’amortisseur « dash-pot » par un bâton gradué,
mais je ne les trouve pas faciles d’usage sur la route...).
Pour altérer l’aiguille, j’ai utilisé du papier à poncer
600. L’aiguille est montée dans une perceuse autonome à
variateur de vitesse, ce qui permet de contrôler la vitesse
de rotation de l’aiguille, qu’on choisira autour de 1000
tours/min. On pince l’aiguille à l’altitude où il faut
retirer de la matière, on met la perceuse en marche 10
secondes, puis on mesure au pied à coulisse digital la
diminution de diamètre. En procédant ainsi, par petites
touches, on maitrise bien la diminution de diamètre.
Lorsqu’on juge que la modification est significative et que
toutes les zones ont été altérées selon le constat de
départ, il faut remonter les aiguilles, démarrer le moteur
et le faire chauffer (thermostat ouvert, durit supérieure
de radiateur chaude), régler la richesse au ralenti à 1,00
et faire un essai en conditions de conduite. Relever les
zones où la richesse est bonne et recommencer sur les zones
où la richesse est encore trop élevée (mélange trop
pauvre). Attention, si on est trop riche, c’est qu’on a
enlevé trop de matière et qu’il faut jeter les aiguilles...
d’où l’intérêt de procéder par étapes !
Il faut, dans le cas du montage double carburateurs,
reproduire la modification à l’identique sur les deux
aiguilles. Avec patience, prudence et mesure précise on y
arrive très bien.
Ci-après figurent les relevés de mesure des aiguilles que
j’ai faits sur ma 122, comparés aux profils des aiguilles
de B20 d’origine. En bleu clair figurent les relevés de mon
profil adapté au moteur modifié, que je considère donner de
bons résultats en fonctionnement : 0,85 en pleine
accélération, 1,15 au ralenti (réglage économique) et 1 en
conduite coulée. L’aiguille modifiée est plus fine en
conduite légère et en forte
accélération.